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« Les Ephémères », d’Andrew O’Hagan : les vibrations punk des plaies écossaises

« Les Ephémères » (Mayflies), d’Andrew O’Hagan, traduit de l’anglais (Ecosse) par Céline Schwaller, Métailié, 288 p., 21,50 €, numérique 10 €.
Avec Les Ephémères, son sixième roman, Andrew O’Hagan nous livre la déflagration d’une œuvre punk : la musique en est le cœur battant, mais le romancier écossais fait pogoter ses pages, surtout, sur un rythme à la fois tendre et désespéré, rugueux jusqu’à la moelle, érigeant la confrontation en maître mot.
Les « gamins de l’Ayrshire » (sud-ouest de l’Ecosse) qui font trembler le récit portent haut et fort les revendications de la classe ouvrière. Leurs pères travaillent à la mine, eux à l’usine. Ils ont 18, 20 ans. Le punk rock est leur ancrage, une revendication de classe, mais aussi une dissidence : Morrissey « arrive sur scène en brandissant un permis, comme si une nouvelle sorte d’appartenance pouvait être créée sur la base du sentiment d’exclusion ».
Plus que des arts, les chansons, le cinéma, les livres sont pour eux un langage – l’excentricité comme invention de soi. Tully, James, Limbo et les autres passent l’été 1986 à refaire le monde à travers leurs joutes verbales. Une façon de se colleter à l’avenir, de projeter leurs espoirs sur l’écran des possibles, obscurci par la répression de la grève des mineurs de 1985, qui n’a abouti qu’à des licenciements.
La première partie du roman flotte, en lévitation, captant à son plus haut degré d’exaltation la transe de cette petite bande électrisée par Tully, ange noir d’effronterie provocatrice. Leur week-end à Manchester, pour le festival « du dixième été », est une acmé, qui déchaîne une radicalité extralucide : surenchère des hypothèses absurdo-politiques, surréalistes et subversives, raccourcis jubilatoires – et si c’était le but de Kenny Dalglish qui avait, terrible fatalité, provoqué la révolution Thatcher ? Et si c’était Fred Astaire qui était à l’origine du Brexit, au terme d’un engrenage infernal ?
Cette esthétique du collage, du court-circuit, se ramifie en un sample romanesque : les consciences en jachère s’entrechoquent à coups de tirades de films. Cette mise en regard des dimensions – le réel et son reflet dans la fiction ; un événement et ses conséquences invisibles – résonne jusque dans la structure narrative, se resserrant autour de Tully et James. En un cut-up ébouriffant, 1986 se referme sur le pétaradant « la reine est morte » des Smiths, des paroles « idiotes, romantiques, mûres et britanniques » que les garçons chantent en sautant épaule contre épaule, pour les catapulter à l’automne 2017. Tully est alors devenu professeur dans les quartiers défavorisés de Glasgow, James écrivain – les versions les plus optimistes d’eux-mêmes. Porteur d’une nouvelle effroyable, le premier recontacte le second pour l’investir d’une mission, démonstration aussi éclatante que tragique que la réverbération des amitiés d’enfance n’en finit jamais de projeter son aura. Mais elle fait aussi peser sur James une responsabilité ambivalente. Jeune homme, il a « divorcé de ses parents », entrant par transfusion affective dans la famille de Tully. A-t-il, pour cette raison, charge d’âme ? Tully considère qu’en tant qu’écrivain et ami de toujours James a le pouvoir d’imaginer le scénario qui, seul, offrira une issue à sa vie asphyxiée.
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